Les 5 danseuses et performeuses du Twerk Alert Crew après leur performance à la journée contre les violences faites aux femmes dans les rues de Paris
Le Twerk Alert Crew lors du défilé de la journée contre les violences faites aux femmes. Paris, 25 novembre 2024

JOURNÉE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

Des pancartes violettes à perte de vue, des chars, de la musique, une foule immense. Dans une ambiance de carnaval, la procession parisienne de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles se dirige lentement vers Bastille. L’après-midi touche déjà à sa fin, et pourtant manifestantes et manifestants envahissent la place et se pressent pour assister à une performance assez spéciale : le collectif Twerk Alert Crew. Quelques-unes de ses danseuses sont positionnées sur les marches et elles… twerkent. Guidés par Patricia Badin, les derrières s’élèvent au rythme de la musique et des cris de la foule.

Allier cette danse connotée suggestive au féminisme, vraiment ? C’est pourtant l’objectif de cette cinquantenaire énergique, au corps moulé par des années d’entraînement. Le twerk a été longtemps perçu comme une simple tendance alors qu’il est bien plus qu’un déhanché spectaculaire. Cette danse, qui puise ses racines dans les cultures afro-descendantes, mêle énergie, affirmation de soi et revendications sociales. Mais au fond, le twerk est-il féministe ? C’est la question que soulève cette pratique à la croisée des luttes corporelles et identitaires.

Danseuses de Twerk à la place de la Bastille à Paris

Vous avez dit “twerk” ?

Longtemps considérée comme une pratique vulgaire car hypersexualisée, le twerk a fait son entrée dans le prestigieux dictionnaire Oxford en 2013, où il a été défini comme l’action de “danser sur de la musique populaire d’une manière sexuellement provocante en effectuant des mouvements d’avant en arrière avec les fesses et les hanches, en position de squat”. Si l’action de “twerker”, verbe utilisé en anglais, ne jouit encore aujourd’hui pas d’une réputation très reluisante, les cours de twerk se sont multipliés dans les grandes métropoles. 

Véritable phénomène de pop-culture, le show devenu viral de Miley Cyrus en 2013 lors de la remise des MTV Awards a marqué les esprits en Occident. Le twerk est pourtant bien plus ancien, note Patricia Badin. “Je viens de la Guadeloupe. Et de danser avec le bassin, c’est quelque chose qu’on fait depuis notre petite enfance, j’ai donc toujours connu le twerk”. Le mot en lui-même serait issu de la contraction de “twist” et “jerk”, deux types de danse très populaires dans la Louisiane des années 1960 notamment. C’est dans cette partie des Etats-Unis, où la communauté afro-descendante est très présente, que le twerk serait devenu un type de déhanché à part entière. En effet, à partir du 17e siècle avec la traite des esclaves et la déportation de nombreux Ouest-Africains dans les Antilles et Caraïbes, les danses traditionnelles africaines ont commencé une nouvelle vie Outre-Atlantique.

Christel Marie-Joseph, d’origine guadeloupéenne elle aussi, prend des cours de twerk depuis septembre. Elle se rend tous les étés au carnaval de Notting Hill, à Londres. Célébrant tout un weekend la culture, la musique et les danses caribéennes, cette française d’une quarantaine d’années apprend le twerk pour pouvoir prendre pleinement part au défilé londonien.
En Jamaïque, à Trinidad-et-Tobago ou encore à la Barbade, la population est en grande partie issue de descendants d’esclaves ; « On retrouve ces mouvements du bassin typiques des danses africaines », explique C. Marie-Joseph. L’enseignante ajoute : « Adolescente, quand je sortais avec mes amies antillaises, on ne se posait jamais la question de si on twerkait ou pas, c’était simplement des mouvements intégrés à nos danses ».

Une danse “afro-féministe”

C’est pour cela qu’aujourd’hui, Patricia Badin revendique un twerk “afro-féministe”, enraciné dans une histoire de traditions. À travers ces mouvements et techniques, les femmes peuvent véritablement prendre conscience de leur propre puissance. “Quand on parle de danse, des rituels ancestraux africains, on parle en fait de rituels féminins de fertilité”, précise P. Badin.
Que les femmes se servent de ses cours comme de “défouloir”, comme d’un moyen de dénouer des blocages et se départir de sa timidité – pour C. Marie-Joseph -, ou de simplement tenter de se lâcher complètement comme pour Chloé Rey, qui pratique depuis 1 an. Les deux apprenties-twerkeuses sont unanimes : danser le twerk les aide à se réapproprier leur corps à l’abri des injonctions de la société. C. Marie-Joseph, mère de 46 ans, s’autorise pour la première fois depuis la naissance de son fils à prendre du temps pour danser. Les séances hebdomadaires avec P. Badin lui permettent de “dégager la casquette de maman et reprendre la casquette de femme ».


Et cela passe par le corps. Son propre corps, un corps de femme, avec ses formes, ses rides, ses blocages. Rey, vient de Nîmes et est comédienne. Elle a testé plusieurs styles de danse avant d’être fascinée par le twerk. “Tous les corps sont acceptés, tous. C’est pour ça que c’est féministe”, sourit elle. Aujourd’hui, elle est tout à fait à l’aise dans son corps, qu’elle a appris à apprivoiser progressivement. 

Le twerk est une danse d’isolation, c’est-à-dire que seule la partie autour du bassin doit se mouvoir. Il faut apprendre à contrôler son corps, et pour cela il faut apprendre à le connaître. “Cela passe par son énergie féminine, rappelle P. Badin : “On parle essentiellement d’énergie de la création, donc de puissance. Or c’est justement les femmes qui ont besoin de force, d’espace pour pouvoir se libérer des diktats du patriarcat”. La danse est habituellement un milieu qui est loin d’être épargné par ce que les Américains appellent le male gaze” ou le regard masculin. Chloé Rey a 30 ans, elle s’est essayée à de nombreux styles de danse différents, et pourtant c’est dans les cours de twerk qu’elle se sent la plus acceptée. “C’est vraiment une danse d’attitude, mais on n’est pas là pour être en compétition, dit-elle. Il y a vraiment un truc de sororité qui est super présent.” 

En tous cas, si la tendance actuelle s’accentue, il est probable de voir de plus en plus de femmes de tous âges rejoindre les rangs de cet art du “booty shake”, surtout depuis la démocratisation des musiques afro et antillaises. 


Surya Théaudin

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