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LE TWERK EST-IL FEMINISTE ?
Patricia Badin, professeure, chorégraphe et performeuse de twerk depuis près de dix ans, en a fait son terrain d’expression. À travers ses cours et ses performances, elle invite à redécouvrir cette pratique sous un jour nouveau : un moyen de libération corporelle et de réappropriation de son espace.
Alors que samedi 23 novembre, des dizaines de milliers de personnes défilaient contre les violences faites aux femmes, rencontre avec Mme Badin et deux de ses élèves, qui partagent les raisons pour lesquelles cette danse fait vibrer bien plus que les corps.

JOURNEE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
Des pancartes violettes à perte de vue, des chars, de la musique, une foule immense. Dans une ambiance de carnaval, la procession parisienne de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles se dirige lentement vers Bastille. L’après-midi touche déjà à sa fin, et pourtant manifestantes et manifestants envahissent la place et se pressent pour assister à une performance assez spéciale : le collectif Twerk Alert Crew a posté quelques-unes de ses danseuses sur les marches, et elles… twerkent. Guidés par Patricia Badin, professeure de danse et chorégraphe, les derrières s’élèvent au rythme de la musique et des cris de la foule.
Allier cette danse connotée suggestive au féminisme, vraiment ? C’est pourtant l’objectif de cette cinquantenaire énergique, au corps moulé par des années d’entraînement. Également performeuse au sein de la troupe parisienne La Créole, elle enseigne le twerk, une danse mobilisant principalement les hanches et les fesses, depuis 2015.

Vous avez dit “twerk” ?
Longtemps considérée comme une pratique vulgaire car hypersexualisée, le twerk a fait son entrée dans le prestigieux dictionnaire Oxford en 2013, où il a été défini comme l’action de “danser sur de la musique populaire d’une manière sexuellement provocante en effectuant des mouvements d’avant en arrière avec les fesses et les hanches, en position de squat”. Si l’action de “twerker”, verbe utilisé en anglais, ne jouit encore aujourd’hui pas d’une réputation très reluisante, les cours de twerk se sont multipliés dans les grandes métropoles.
Véritable phénomène de pop-culture, le show devenu viral de Miley Cyrus en 2013 lors de la remise des MTV Awards a marqué les esprits en Occident. Le twerk est pourtant bien plus ancien, note Patricia Badin. “Je viens de la Guadeloupe. Et de danser avec le bassin, c’est quelque chose qu’on fait depuis notre petite enfance, j’ai donc toujours connu le twerk”. Le mot en lui-même serait issu de la contraction de “twist” et “jerk”, deux types de danse très populaires dans la Louisiane des années 1960 notamment. C’est dans cette partie des Etats-Unis, où la communauté afro-descendante est très présente, que le twerk serait devenu un type de déhanché à part entière. En effet, à partir du 17e siècle avec la traite des esclaves et la déportation de nombreux Ouest-Africains dans les Antilles et Caraïbes, les danses traditionnelles africaines ont commencé une nouvelle vie Outre-Atlantique.

Christel Marie-Joseph, d’origine guadeloupéenne elle aussi, prend des cours de twerk depuis septembre. Elle se rend tous les étés au carnaval de Notting Hill, à Londres. Célébrant tout un weekend la culture, la musique et les danses caribéennes, cette française d’une quarantaine d’années apprend le twerk pour pouvoir prendre pleinement part au défilé londonien. Jamaïque, Trinidad-et-Tobago, Barbade, dans ces îles la population est majoritairement composée de descendants d’esclaves, “on retrouve ces mouvements du bassin typiques des danses africaines”, détaille C. Marie-Joseph. L’enseignante abonde : “adolescente, quand je sortais avec mes amies antillaises, on ne se posait jamais la question de si on twerkait ou pas, c’était simplement des mouvements intégrés à nos danses”.
Une danse “afro-féministe”
C’est pour cela qu’aujourd’hui, Patricia Badin revendique un twerk “afro-féministe”, qui est ancré dans l’histoire de traditions dont le twerk est le descendant direct. A partir de cela, les mouvements et techniques pour maîtriser le twerk permettent aux femmes de réellement prendre conscience de leur propre force. “Quand on parle de danse, des rituels ancestraux africains, on parle en fait de rituels féminins de fertilité”, précise Badin. Que les femmes se servent de ses cours comme de “défouloir”, comme d’un moyen de dénouer des blocages et se départir de sa timidité – pour Mme Marie-Joseph -, ou de simplement tenter de se lâcher complètement comme pour Chloé Rey, qui pratique depuis 1 an, les deux apprenties-twerkeuses sont unanimes : danser le twerk les aide à se réapproprier leur corps à l’abri des injonctions de la société. Marie-Joseph, mère de 46 ans, s’autorise pour la première fois depuis la naissance de son fils à prendre du temps pour danser. Les séances hebdomadaires avec Mme Badin lui permettent de “dégager la casquette de maman et reprendre la casquette de femme ».

Et cela passe par le corps. Son propre corps, un corps de femme, avec ses formes, ses rides, ses blocages. Rey, vient de Nîmes, est comédienne. Elle a testé plusieurs styles de danse avant d’être fascinée par le twerk. “Tous les corps sont acceptés, tous. C’est pour ça que c’est féministe”, sourit-elle, aujourd’hui tout à fait à l’aise dans son corps qu’elle a du apprivoisoiser progressivement.
Le twerk est une danse d’isolation, c’est-à-dire que seule la partie autour du bassin doit se mouvoir. Il faut apprendre à contrôler son corps, et pour cela il faut apprendre à le connaître. “Cela passe par son énergie féminine, rappelle Mme Badin : “on parle essentiellement d’énergie de la création, donc de puissance. Or c’est justement les femmes qui ont besoin de force, d’espace pour pouvoir se libérer des diktats du patriarcat”. La danse est habituellement un milieu qui est loin d’être épargné par ce que les Américains appellent le “male gaze” ou le regard masculin. Chloé Rey a 30 ans, elle s’est essayée à de nombreux styles de danse différents, et pourtant c’est dans les cours de twerk qu’elle se sent la plus acceptée. “C’est vraiment une danse d’attitude, mais on n’est pas là pour être en compétition, dit-elle. Il y a vraiment un truc de sororité qui est super présent.”
En tous cas, si la tendance actuelle s’accentue, il est probable de voir de plus en plus de femmes de tous âges rejoindre les rangs de cet art du “booty shake”, surtout depuis la démocratisation des musiques afro et antillaises.
Surya Théaudin
